La parole de l’enfant , faut pas s’y fier

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« Le placement des enfants en danger est une entreprise qu’il est très difficile de mener à bien, qui demande beaucoup d’intelligence, de dévouement et d’énergie pendant de longues années et pour un résultat qui n’est pas toujours assuré. Nous qui organisons le placement d’enfants “en temps de paix”, nous sommes parfois saisis par l’idée qu’il s’agit d’une mission impossible. Les issues heureuses, les évolutions favorables ne s’apprécient qu’après bien des années d’efforts. Il en existe cependant et elles nous permettent de garder espoir. »

D.W. Winnicott, « Le placement des enfants difficiles peut-il être thérapeutique », dans Déprivation et délinquance, Paris, Payot, 1994.

2Le 6 juin 2013 s’est tenu le premier rassemblement proposé par l’association Atelier de recherche sur l’avenir de l’accueil familial (Atelier 2AF).

3Nous sommes un petit groupe, quinze à vingt personnes, toutes et tous professionnels engagés dans des services de protection de l’enfance à divers titres, en majorité des services d’accueil familial et aussi d’AEMO et pouponnières.

4Ce collectif de recherche, issu du groupe de recherche du GRAPE, qui a souhaité exister hors de la maison mère en 2008, s’est enrichi en 2011 de nouveaux membres issus de placements familiaux d’Île-de-France [1][1]Membres de l’Atelier 2AF : Nathalie Aidan, psychologue en AEMO,….

5Depuis lors, nous nous sommes retrouvés deux à trois fois par trimestre [2][2]À cette occasion nous remercions chaleureusement l’AEMO de…, avec pour objectif de partager les expériences des membres du groupe, à la fois pour réfléchir aux difficultés du travail en accueil familial et pour rechercher des ouvertures possibles pour une plus grande autonomie de pensée tant clinique qu’institutionnelle, et pour tenter d’accroître les capacités à se parler et à s’entendre entre les différents acteurs concernés par un enfant, et donc sa famille.

6Cela nous a donné envie de sortir de la confidentialité de ce groupe et d’en travailler quelques questions dont nous vous faisons part dans les textes qui suivent, questions élaborées par des membres du groupe ainsi que par des intervenantes réputées : Frédérique Eudier, Arlette Pellé, Liliane Irzenski, qui n’ont pas hésité à répondre à notre demande.

7Vous remarquerez que nous parlons d’« accueil familial » mais aussi de « placement familial ». Nous essayons d’employer ces termes sans les confondre, attachés à ce que « Placement Familial » soit un concept alors que « Accueil Familial » serait un dispositif.

8Invoquer le danger pour mettre l’enfant à distance de ses parents produit une rupture qui, pour inévitable et violente qu’elle soit, semble pourtant nécessaire. C’est une décision qui engage la responsabilité de l’ensemble des acteurs impliqués dans la prise en charge de l’enfant et de sa famille.

9Dans les années 1965-1970, alors que la décentralisation n’existait pas encore, de nombreuses interrogations ont vu le jour à propos du Placement Familial.

10Les enfants séparés, nombreux à cette époque, étaient parfois oubliés dans les familles d’accueil vivant en majorité à la campagne (ainsi les agences des départements d’Île-de-France en grande banlieue ou province, par exemple).

11Certains services de placement s’étaient alors émus du sort réservé à ces enfants qui souvent ne connaissaient pas leurs parents dont on faisait peu de cas, et sous l’impulsion de personnalités comme les psychiatres Myriam David, Jenny Aubry, Michel Soulé ensuite, s’est répandue l’idée qu’un enfant séparé est un enfant en souffrance et qu’il a besoin de ses parents pour se construire. Le Placement Familial (avec « P » et « F ») a ainsi été pensé par quelques-uns comme pouvant être « un outil thérapeutique », et nombre d’associations se sont réunies au sein du GELPFS [3][3]Groupe d’étude et de liaison des placements familiaux… vers 1964, sous la présidence du psychanalyste Jean Cournut aujourd’hui disparu.

12Qu’en est-il aujourd’hui ?

13« Il n’y a rien de mieux que la famille », traduisent certains juges ou travailleurs sociaux, interprétant la CIDE [4][4]Convention internationale des droits de l’enfant. : « L’enfant, pour l’épanouissement harmonieux de sa personnalité, doit grandir dans le milieu familial, dans un climat de bonheur, d’amour et de compréhension. » Certes !

14La famille s’est transformée et les politiques ont petit à petit imposé par différentes lois l’idéologie de sa place prépondérante, au point de ne pas séparer, de séparer trop tard ou de remettre l’enfant aux parents après placement sans tenir suffisamment compte du danger toujours existant. La loi sur le soutien à la fonction parentale en 1999, malgré sa valeur théorique, a amplifié ce phénomène, durci depuis, malgré la loi de réforme de la protection de l’enfance en 2007 qui tente un meilleur équilibre entre la prise en compte des parents et celle des enfants. Les parents sont-ils pour autant mieux considérés et la contractualisation y aide-t-elle ? Cette réflexion est menée par Frédérique Eudier, professeur de droit, dans le présent ouvrage.

15Pour la famille d’accueil aussi, cela rend difficile son engagement dans l’histoire de l’enfant. Et pourtant, il y a des assistantes familiales qui ne ménagent pas leur peine, comme nous pouvons le constater dans les entretiens filmés au Placement Familial Jean-Cotxet [5][5]Pour les voir, contacter Anne-Marie Martinez..

16Nous assistons à une fragilisation de la place de l’enfant, de plus en plus nomade, déplacé d’une famille à l’autre. Malgré cette précarité instaurée, nous devons permettre à l’enfant séparé et placé de se construire.

17Pour lui, la famille d’accueil n’est pas toujours une terre d’accueil, et la famille d’origine reste une terre promise. Pourtant, c’est auprès de l’une et de l’autre qu’il va puiser repères, appuis, modèles. C’est vers l’une ou l’autre qu’il se tournera (trouvant ou non une réponse) après sa majorité au fil des événements de sa vie.

18Prendre soin d’un enfant placé, c’est aussi « prendre soin » de ses parents !

19Nous dénonçons un certain nombre d’entraves à faire du placement une mesure constructive pour l’enfant à travers une réelle séparation. Mais encore faut-il que les parents continuent d’être entendus, informés, accueillis, comme le disent Danièle Lefebvre et Marina Stéphanoff de CAP Alésia : « Nous sommes souvent étonnées qu’ils ne soient pas informés des décisions, comme un changement de famille d’accueil, un traitement médicamenteux, des difficultés scolaires…, qu’ils n’aient pas rencontré le réfèrent de l’ASE une fois dans l’année… Le placement familial a changé et on doit bien faire avec ce changement ! La question n’est pas de refuser de s’opposer au changement mais de faire entendre des valeurs à soutenir dans les évolutions actuelles. Et surtout, de rester vif dans sa pensée. »

20Le père ou la mère est sujet de la discussion, sujet d’observation, sujet de droit, sujet à caution…, assujetti à l’institution. Avons-nous le souci du parent ou attendons-nous juste qu’il adhère à la contrainte ? Il nous appartient de le reconnaître alors même qu’il a été privé de son enfant et que la séparation le désapproprie quotidiennement d’une grande partie de ses fonctions.

21Il y a de l’irréparable dans l’histoire des familles dont les enfants sont placés. Qu’en faisons-nous ? Les parents participent, de façon consciente ou non, à ce que certains cliniciens appellent la rupture du « pacte symbolique » qui les unit à leur enfant. De leur côté, les institutions ont une responsabilité dans les effets de déliaison contenus dans les propositions de placement.

22Notre regard sur les parents et notre façon d’accueillir leurs possibles et leurs empêchements vont permettre à l’enfant de construire ses représentations et son propre récit de son histoire familiale.

23Comment remettre en vigueur la notion de subjectivité des professionnels, plutôt que de répondre à des injonctions, se demande Liliane Irzenski ?

24Le Placement Familial du XXIe siècle peut-il encore être pensé comme un soin, la séparation comme un « acte thérapeutique » ?

25Qu’en est-il aujourd’hui pour les enfants placés de la nécessaire élaboration de la rencontre avec les drames psychiques propres au lieu familial : le mystère des origines, l’élaboration du lien premier à la mère, l’avènement du tiers, la différence des sexes et l’interdit de l’inceste ? Quels sont les destins de ces interrogations psychiques structurales pour le sujet-enfant dans le contexte actuel ?

26Culture gestionnaire de l’institution, paupérisation de la pédopsychiatrie, illusion de la réparation…, risquent de délégitimer notre mission et de laisser l’enfant à sa solitude. Les concepts de traumatisme, de répétition et de séparation psychique restent au centre de notre réflexion, même si la pression est forte de céder au factuel, à l’urgence.

27Nous avons tenté, par les différents écrits suivants ainsi que par les témoignages de cinq de nos membres, de nous dégager des pièges de l’idéalisation, de dépasser colère, indignation et découragement, d’éviter les écueils de la pensée déterministe et l’application stricte de protocoles, et de mettre au travail nos pratiques d’accompagnement en Accueil Familial afin qu’elles soient réellement centrées sur l’enfant et les liens qui le constituent.

Notes

Membres de l’Atelier 2AF : Nathalie Aidan, psychologue en AEMO, pôle est de l’association Olga Spitzer (Paris), psychanalyste ; Chloé Aujard, psychologue à la pouponnière Paul Parquet (Neuilly-sur-Seine) ; Denise Bass, directrice retraitée du « GRAPE-Formation Enfance », formatrice ; François Braoude, directeur du placement familial « Sauvetage de l’enfance » (Paris) ; Joël Chalubert, ancien responsable de circonscription à l’ASE de Seine-Saint-Denis, formateur ; Laurent Choubrac, éducateur en placement familial, association Don Bosco (Caen) ; Jutta de Chassey, ancienne psychologue à l’ASE de Meurthe-et-Moselle ; Marie-Christine Delpeyrou, directrice du placement familial « relais Alésia », CFPE (Paris) ; Dominique Dumec, psychologue à la DASES (Paris) ; Marie-Claire Godefroy, directrice du foyer de placement familial Hélène-Weksler de l’OSE (Paris) ; Laura Kurpis, psychologue à l’ASE de Côte-d’Or ; Annie Le Calvez, assistante sociale en AEMO, pôle est de l’association Olga Spitzer (Paris) ; Danièle Lefebvre, directrice du centre d’accompagnement parents/enfants « CAP Alésia » du CFPE (Paris), psychologue ; Marlène Iucksch, psychologue en AEMO, pôle est de l’association Olga Spitzer (Paris), psychanalyste ; Anne-Marie Martinez, directrice de l’Unité d’accueil familial de l’association Jean-Cotxet (Paris et Seine-Saint-Denis) ; Anne Rodriguez, psychologue au service « adoption » de la DASES (Paris) ; Marina Stephanoff, psychologue au lieu de rencontres parents/enfants « CAP Alésia » (Paris), psychanalyste ; Tony Teijero, chef de service au placement familial « CFDJ » de Tournan (Seine-et-Marne).

À cette occasion nous remercions chaleureusement l’AEMO de l’association Olga Spitzer et le directeur d’un de ses services, Jean-Luc Mercier, qui nous a gracieusement hébergés. Le foyer de placement familial Jean-Cotxet a su aussi nous dépanner les jours de grand vent.
Il nous faut aussi remercier le GRAPE, devenu association RAFEF sous la responsabilité de Philippe Pétry et Jean-Marc Bouville, sans lesquels nous n’aurions pas pu organiser la journée d’étude sur le thème : Grandir en placement familial au XXIe siècle.

Groupe d’étude et de liaison des placements familiaux spécialisés.

Convention internationale des droits de l’enfant.

Pour les voir, contacter Anne-Marie Martinez

 

Faire une place à l’enfant placé, entre contraintes et désir, place à la créativité

« Faire une place pour l’enfant placé, entre contraintes et désir, place à la créativité »

Publié dans les cahiers de l’enfance et de l’adolescence no 01, ères 2019
articles disponibles sur : www.cairn.info/

Comment retrouver une énergie qui nourrisse le lien entre professionnel
et enfant ? Jouer, apprendre, rêver, découvrir, fabriquer, entreprendre…
Ces activités, ces élans, ces avatars du désir favorisent l’humanisation
de l’enfant et réclament des adultes une mobilisation qui va au-delà
de l’apprentissage de savoir-faire et de compétences.
Dans l’intimité des familles d’accueil, grands projets et « petits riens »,
ces « bricolages » de la vie quotidienne fondent les soubassements
d’une histoire partagée dans laquelle l’enfant va prendre place pour
dessiner la sienne.
Penser l’accueil en terme d’hospitalité, donner une place à la créativité,
n’est-ce pas une manière de raviver le désir des professionnels ?
Dans ces journées nous parcourrons les différents contenus de ce
qui constitue l’accueil des enfants, notamment chez les assistants
familiaux.
Nous questionnerons le concept d’accueil, devenu énoncé fétiche
du placement familial, pour en revivifier la substance et sa visée humanisante.
Nous nous interrogerons sur l’engagement des personnes responsables
à divers degrés, tant pour assumer le quotidien du placement
que pour ouvrir des voies créatrices aux enfants.
Au-delà de la protection nécessaire que lui apporte le dispositif de
placement, accueillir l’enfant suppose de se laisser affecter, d’accepter
d’être dérangé par ce que la rencontre suscite.
C’est offrir une hospitalité qui bouscule et ne laisse personne indemne.
D’où vient l’enfant ? Quelle place reconnaît-on à son histoire par-delà
le fracas de la séparation ?
Accompagner l’enfant d’un autre dans son parcours de vie singulier
oblige l’adulte qui en prend soin à s’engager subjectivement tout en
restant inscrit dans son cadre professionnel.
À travers cet engagement, l’enfant pourra éprouver le désir des
adultes, désir pour qu’il devienne sujet de sa vie et de son histoire.
L’émergence de la vitalité de ce désir suppose une forme de résistance
aux principes de précaution, aux injonctions normatives, aux
dérives de professionnalisation.
L’idéologie autour de l’enfant et de sa protection ne produit-elle pas
un formatage des pratiques professionnelles ? Le malaise des professionnels
n’est-il pas induit par les oscillations d’un modèle à l’autre,
qui suscitent désorganisation et inquiétude ?
Les contraintes budgétaires toujours plus pesantes, la contractualisation
et la judiciarisation des échanges (rapports sociaux, inflation
des procédures) risquent de produire une forme d’enlisement de la
pensée, un étouffement de l’inventivité.